L'orientation : ce bobo qui ne saigne pas

L’orientation : ce bobo qui ne saigne pas

Avez-vous déjà rencontré un jeune qui, à l’approche du 1er mars, n’avait jamais réfléchi à ses préférences, à ses options professionnelles, à son orientation, à son avenir? Vous savez, ce jeune qui « ne sait pas quoi faire », qui part de zéro, qui compte sur son conseiller d’orientation pour lui indiquer la « bonne » voie? Un classique auquel nous nous sommes malheureusement habitués. Même si le jeune ne présente pas de blessure ni de saignement, les conséquences de cette situation peuvent être douloureuses.

« La moitié des étudiants qui arrivent au cégep disent ne pas s’être inscrit dans leur programme par intérêt. Le tiers change de projet, le quart abandonne carrément. »[1]

Tout le monde est d’accord : l’orientation, c’est important. Pour les plus pragmatiques, « les changements de programme au cégep, ça coûte cher ». Pour d’autres, conscients que le travail occupe une grande partie de la vie adulte, « c’est long, une carrière, quand on n’aime pas sa job ». Enfin, certaines personnes sont d’avis que « la passion, c’est le moteur de la motivation ».

Toutes ces personnes ont raison! L’orientation devrait donc, logiquement, faire partie des priorités des écoles secondaires. Est-ce le cas?

Y a-t-il un problème avec l’orientation à l’école?

Plusieurs élèves commencent très tôt à se questionner, s’inscrivent à des cours du domaine du développement professionnel (PPO, SE, Exploration de FP), rencontrent un professionnel de l’orientation, participent à des activités d’approche orientante, etc. Autrement dit, dans les écoles secondaires, tout semble en place pour donner aux jeunes des occasions de réfléchir sur leur orientation.

Pourtant, sur le terrain, les approches et les outils en place ne semblent pas répondre aux besoins d’orientation des jeunes.[2] La disponibilité des moyens offerts varie d’un milieu à l’autre et dépend de plusieurs facteurs : les priorités des directions d’école,[3] la disponibilité des professionnels de l’orientation,[4] la nature des mandats qui leur sont confiés (notamment, des tâches administratives),[5] etc. En 2015, on ne comptait que 0,66 professionnels de l’orientation pour 1000 élèves![6] Dans ce contexte, certains milieux n’ont d’autre choix que d’offrir un service minimum, qui se résume à faire des rencontres individuelles et à se promener dans les classes pour expliquer les principaux rouages du processus d’admission au collégial.

Bref, à l’heure actuelle, les jeunes semblent avoir très peu de temps de qualité pour faire le point sur leur avenir.[7] Il est donc actuellement possible – théoriquement – qu’un élève complète ses études secondaires sans avoir eu l’occasion de réfléchir à son choix de carrière, encore moins aux multiples dimensions qu’il comporte. Pourtant, « l’accès à une véritable démarche d’orientation favorise le développement identitaire et donne un sens aux apprentissages. »[8]

Bref, le bobo ne saigne pas, mais il fait mal. Comment offrir aux jeunes un service d’orientation digne de ce nom au sein de leur milieu scolaire?

Impliquer plus de monde?

Dans le Programme de formation de l’école québécoise,[9] il est inscrit que l’école doit s’engager sérieusement pour inciter chaque jeune à entreprendre son projet de vie. Cette responsabilité est partagée entre les enseignants, le personnel spécialisé des services éducatifs complémentaires et la direction, en partenariat avec les parents, les représentants du marché du travail et ceux des organismes communautaires. Ça fait beaucoup de monde.

Quand l’orientation est l’affaire de tous – donc de personne en particulier – on peut voir des jeunes laissés à eux-mêmes,[10] des enseignants s’improviser expert en orientation[11] et des parents démunis devant le manque de services. On parle de plus en plus de l’approche orientante comme d’un échec, malgré des retombées intéressantes dans certains milieux.[12]

Donner plus d’information?

À l’ère numérique, l’information de masse rendue possible grâce à Internet rejoint beaucoup de monde. Dans tous les domaines, on multiplie les sites Web, on produit des vidéos, on conçoit des applications, on fait de la publicité ciblée, tout cela pour le bénéfice du « chercheur d’information ». L’orientation ne fait pas exception :

  • Chaque secteur – pour ne pas dire chaque métier ou profession – est associé à un site Web rempli d’informations, de témoignages, de vidéos, etc.
  • On met à la disposition des jeunes – pas toujours gratuitement – d’énormes bases de données d’information scolaire et professionnelle.
  • On organise des événements où les jeunes récoltent un nombre incalculable d’informations – notamment des prospectus – sur les domaines qui les intéressent.

Peu importe le moyen utilisé, le niveau de préparation ou la qualité de l’accompagnement offert dans la recherche d’information, celle-ci ne restera toujours qu’une étape de la démarche d’orientation. « S’il suffisait d’être informé pour choisir, puis agir, personne ne fumerait, tout le monde ne mangerait que des aliments sains et personne ne ferait d’excès de vitesse. »[13]

Récolter plus d’information sur le jeune?

La passation de questionnaires ou d’outils psychométriques a l’avantage de fournir de l’information sur les répondants. Le grand nombre d’élèves justifie souvent la passation collective[14] d’inventaires d’intérêts, par exemple. Par ailleurs, il est possible que les « tests en intervention collective » soient le seul contact qu’une personne aura de toute sa vie avec l’orientation,[15] car le temps passé à mettre en contexte cet exercice et à expliquer les résultats varie d’un milieu à l’autre. Bref, les questionnaires de tous ordres peuvent être utiles; encore faut-il que le jeune ait l’occasion de s’approprier les résultats et de faire des liens avec son projet professionnel.

Faire plus de rencontres individuelles?

Tous les jeunes ont des choix à faire, et tous ont besoin de ressources et de soutien, mais la nature ou le degré de soutien requis varie d’une personne à l’autre.[16] [17] Un des problèmes majeurs est que les besoins dépassent les ressources.[18] [19] Les services d’orientation qui s’adressent aux jeunes à l’école ne sont pas élaborés en fonction de leurs besoins, mais des programmes du MELS et des ressources disponibles.[20] Résultat : dans plus de 62 % des milieux scolaires, les conseillers d’orientation n’arrivent pas à rencontrer l’ensemble des élèves qui font appel à leurs services.[21]

Les résultats d’un sondage maison[22] soutiennent ces constats. En effet, les professionnels du milieu scolaire mentionnent rencontrer les défis suivants :

  • Les outils disponibles ne sont pas toujours adaptés aux besoins de ma clientèle. (76 %)
  • J’aimerais organiser plus d’activités de groupe. (72 %)
  • J’aimerais faire plus de suivis suite à des activités de connaissance de soi ou des tests. (72 %)
  • J’aimerais bonifier mes collaborations avec le milieu. (71 %)
  • Il est difficile de choisir parmi tous les outils, tests et informations disponibles pour ma clientèle, notamment sur Internet. (58 %)
  • Je manque de temps pour rencontrer tous les jeunes qui en auraient besoin. (51%)

Ainsi, les professionnels de l’orientation et de l’information scolaire et professionnelle ne peuvent relever seuls les défis de l’orientation dans les écoles du Québec.

Une lumière au bout du tunnel?

L’intégration prochaine des contenus en orientation scolaire et professionnelle (COSP) dans le curriculum des élèves, à raison de 5 à 10 heures par année, semble porteuse. Or, la responsabilité de structurer les services autour de ces 49 contenus et de développer du matériel pour soutenir ces apprentissages revient à chaque milieu. Un pas dans la bonne direction? Oui. Une solution qui donne une chance égale à tous les élèves d’apprendre à se connaitre, de comprendre le monde scolaire et de découvrir le monde du travail? La marche semble haute.

« Aucune approche, aucun logiciel, aucun objectif d’apprentissage, aucune « pratique gagnante » ne peut prétendre a priori répondre à l’ensemble des besoins d’orientation. La pire erreur serait de croire qu’on a « réglé la question de l’orientation » juste en les mettant en place. ».[23]

Comment amener l’orientation plus loin?

L’équipe derrière Enio croit que :

  • L’orientation devrait être une priorité dans les écoles.
  • Les jeunes sont au cœur de leur démarche d’orientation, qui elle, doit être facilitée par leur milieu scolaire.
  • L’élève qui a fait lui-même un certain nombre de démarches avant de solliciter un accompagnement professionnel est beaucoup mieux préparé et engagé dans sa réflexion.
  • Les intervenants scolaires (enseignants, professionnels de l’orientation et de l’ISEP) ont énormément à offrir aux jeunes.
  • Les compétences respectives de ces derniers doivent être mieux utilisées.
  • L’utilisation du Web peut aider à répondre aux besoins généraux d’orientation des élèves (outils, information, support),[24] en complément aux services d’orientation actuels.
  • Les services d’orientation sont essentiels pour répondre aux besoins distinctifs (aide et accompagnement) et particuliers (intervention clinique) [25] des élèves.

Selon nous, c’est ainsi que l’expertise de chacun des professionnels du milieu scolaire est la mieux utilisée. Évidemment, ce changement de paradigme demande une certaine ouverture au changement et surtout, du leadership. Comme vous avez lu cet article jusqu’au bout, il ne fait aucun doute que vous possédez ces deux qualités!

Lucie Demers, c.o.

Septembre éditeur

[1] Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (2013a). Guide de pratique : Orientation en formation générale des jeunes. Disponible en ligne.

[2] Richard, A. (2013). Enjeux et problématiques d’orientation au secondaire. Disponible en ligne.

[3] Gélinas, L. (2017). L’avenir de nos jeunes, est-ce important? La presse, 19 février 2017. Disponible en ligne.

[4] Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec (FPEQ) (2016). L’orientation scolaire et professionnelle au sein des commissions scolaires : état des lieux et action syndicale – Sommaire. Disponible en ligne.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Gélinas, op. cit

[8] FPEQ, op. cit

[9] Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). Programme de formation de l’école québécoise – Chapitre 2. Disponible en ligne.

[10] Gélinas, op. cit

[11] Ibid.

[12] FPEQ, op. cit.

[13] Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec (2013b). L’OCCOQ et la Stratégie jeunesse du Gouvernement du Québec. Disponible en ligne.

[14] OCCOQ, 2013a, op. cit.

[15] Ibid.

[16] OCCOQ, 2013a, op. cit.

[17] OCCOQ, 2013b, op. cit.

[18] OCCOQ, 2013a, op. cit.

[19] Richard, op. cit.

[20] OCCOQ, 2013b, op. cit.

[21] Matte, L. (2010). L’orientation : répondre ou non aux besoins des élèves. Disponible en ligne.

[22] Sondage en ligne réalisé en mars 2017 auprès de 76 professionnels qui interviennent au 2e cycle du secondaire.

[23] Matte, op. cit.

[24] Ibid.

[25] Ibid.

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